Jean Bayssellance

 

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Jean Bayssellance est né à la Négrie (24) le 22 décembre 1784, mort en 1866.  Il était notaire à Bergerac et pour éviter d'être enrôlé dans les armées Napoléoniennes il usa de stratagèmes décrits dans le journal ci-dessous écrit en 1847

 

FICHE HEREDIS

Jean BAYSSELLANCEvoit le jour le mercredi 22 décembre 1784.
Il est le fils légitime
de Jean BAYSSELLANCE, âgé de 34 ans et de Catherine VERSAVEAU.

Jean sera Notaire.

Il épouse
Marie BOUTOT, la fille légitime de parents non connus.
Il n'y a pas d'enfants connus pour ce couple.

Ils se marient le mercredi 17 novembre 1813.

Il épouse
Elisabeth LOREILHE, la fille légitime de Pierre LOREILHE et d'Elisabeth JAY.
Ce couple aura quatre enfants :
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Jeanne Elisabeth Isoline née en 1819.
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Jean Oscar né en 1820.
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Pierre Emile né en 1822.
-
Jean Adrien né en 1829.

Ils se marient le lundi 30 mars 1818 à Ste Foy la Grande (F33).
Le 18 janvier 1819 naît sa fille
Jeanne. Jean est âgé de 34 ans.
Son père
Jean meurt le 13 septembre 1819, Jean est âgé de 34 ans.
Le 12 août 1820 naît son fils
Jean. Jean est âgé de 35 ans.
Le 19 mai 1822 naît son fils
Pierre. Jean est âgé de 37 ans.
Le 25 mai 1829 naît son fils
Jean. Jean est âgé de 44 ans.

Jean BAYSSELLANCE est décédé en 1866, à l'âge de 81 ans

 

JOURNAL DE JEAN BAYSSELLANCE NOTAIRE

L’apparence d’un procès tendant à faire prononcer un divorce entre Marie Boutot veuve de sieur Pierre Deleilh et moi, existant, tant dans l'étude de maître Eyguiére, notaire à Saint-Jean d’Eyraud (avant notaire à Beauregard) qu’au greffe du tribunal civil de Bergerac, je dois, tant que j’existe, donner des explications à ce sujet pour mes enfants ou leurs descendants ne puissent rien voir de flétrissant pour moi dans un procès, qui, réellement n'en était pas un, mais que les malheureuses circonstances de l'époque, où je fut forcé d'aller devant le Tribunal de Bergerac, lui donnèrent toutes les formes et la physionomie d'une procédure sérieuse, lorsque cela n’était qu'un moyen de briser des liens qui n'avaient jamais existé, mais qu'il avait fallu mettre en avant pour me soustraire à l'appel qui fut fait de 300000 hommes en 1813. Je vais donc remonter à mon premier appel comme conscrit de l'an 14 ou 1805 pour mettre au courant des diverses phases de ma vie depuis ma conscription jusqu'à mon mariage.

Conscrit de 1805, comme je viens de le dire, je fut réformé par faveur, c'est-à-dire que le conseil de révision composé de plusieurs membres que nous connaissions, cru devoir me dispenser du service militaire pour me laisser à la carrière notariale pour laquelle j’étais destiné. Et bien ! Si je fut réformé, je devais l’être à cause d’une infirmité dont j'ai était atteint, mais non apparente puisque qu'aucun médecin ne put ou ne sut la reconnaître. J'avais alors, et j’ai encore l’œil droit privé de lumière, pour ainsi dire, c'est-à-dire que si je perdais le gauche, à peine verrais-je à me conduire. Ainsi, si ces messieurs, ont cru faire partir un autre conscrit à ma place, moi, j’ai la conscience tranquille et réformé, je devais l'être ; Arrivé à 62 ans je puis dire la vérité et je le dois.

Exempté et me destinant au notariat, mon père m'envoya à Paris étudiait cette science, où je passais six ans et demi dans l'étude de maître Boulard. Mon frère fut conscrit à son tour et réformé également (par faveur cette fois) je l'appelais auprès de moi, lui ayant trouvé une place où il gagna d'abord 600 francs et après une autre qui lui rapportait environ 1800 francs et la faculté de faire son droit.

En 1812, mon père fut dangereusement malade, il me rappela auprès de lui pour lui aider et conserver après lui son étude de notaire, mais la loi du 25 Ventose fixant le nombre des notaires de chaque canton à 3 pour le minimum est à 5 pour le maximum, je n'ai pu succéder de suite à mon père, y en ayant 7 dans le canton de Bergerac. Il fallut alors prendre un biais. Il m’acheta l'étude de Boutiron notaire de la Force pour la somme de 2400 francs je ne veux pas anticiper.

Peu de temps après mon arrivée de Paris, j'employais mon temps à en donner le moins possible à l'état et la majeure partie à mes plaisirs. J'aimais la danse et la bonne société, et je recherchais avec empressement l’une et l’autre, et dans le petit bourg de Mouleydier je les trouvais toutes les deux.

Ma soeur était liée avec les demoiselles Gagnaire filles de notaire, ses compagnes de pension. Elle vinrent lui faire visite avec les demoiselles Durive de Mouleydier, leurs cousines, qui nous invitaient aux soirées dansantes de leur petit bourg, soirées données tantôt chez elle tantôt chez monsieur Javersac dont l’épouse était femme d'esprit et d'une amabilité remarquable. Ces deux demoiselles étaient dignes de leur mère.

J’ai vu quelquefois à ces soirées Madame de Montbrun, femme charmante, qui a depuis perdu la vue, mais alors elle avait de fort beaux yeux. On comptait dans ses réunions une douzaine de dames et de demoiselles, presque autant de messieurs.

Bergerac, à la même époque, pouvait à peine former sa redoute (assemblée dansante) et il n'était question que des bals de Mouleydier dans toute la contrée.

Alors l'empire penchait vers sa chute. L'empereur revenait de Moscou à travers les neiges et les frimas ; il lui faut une nouvelle armée, il pense à faire une nouvelle levée d'hommes, mais pour la rendre plus facile, il veut montrer aux gens qu'il va appeler les combattant à travers le prisme de la gloire et de la séduction. Il veut avoir une garde d'honneur, des hommes non appelés par le sort mais désignés, des gens enfin de familles riches et honorées, qui, peu occupés, puissent partir sans être à la charge de l'état, puisqu'il fallait qu'il s’équipassent à leurs frais.

Nos soirées avaient fait, comme je l'ai déjà dit du bruit dans la contrée ; le sous-préfet chargé par le préfet d'indiquer des jeunes gens qui lui paraissaient le plus propre à faire partie de cette garde d’honneur, soit par leur famille, leur fortune et leur éducation, jeta les yeux sur le bal de Mouleydier où il remarqua plusieurs jeunes gens inoccupés. Je fut du nombre de ceux qui furent honorés du choix de Monsieur le Préfet, nous étions, je crois, six. Chacun de nous reçut sa lettre de Monsieur le Préfet, et il nous fallut nous rendre auprès de Monsieur le Préfet qui n’écoutait aucune réclamation, qui nous disait au contraire qu'il fallait tout oublier pour servir la patrie et notre Empereur ; que les Périgourdins s’étaient toujours fait remarquer par leur dévouement à leur prince et à la patrie.

Nos chants, nos fêtes cessèrent alors, chacun de nous ne s’occupa plus que de songer à son sort, les uns faisant leurs préparatifs de départ, et les autres à prendre les moyens de me pas partir. J'étais de ces derniers. J’étais trop âgé pour commencer la carrière militaire, j'avais 29 ans, et en outre ayant passé toute ma vie à travailler dans le notariat, et voulant remplacer mon père déjà âgé, je ne pouvais pas ainsi interrompre mon stage. Tout cela me bouleversa horriblement.

Il fallut alors écrire à mon frère qui était alors employé à la Secraiterie d'Etat, et lui faire-part de notre fâcheuse position. Cette nouvelle l’affecta comme elle devait le faire. Notre correspondance devint très active, il nous donnait des conseils, nous faisions des démarches et en définitive nous vîmes qu’il fallait que je subisse mon sort.

Si je partais et que mon père vint à mourir, nous perdions notre étude, ce qu'il nous importait le plus de conserver comme étant la plus claire portion de notre avoir. Alors mon frère abandonna Paris vint auprès de nous et s’offrit de me remplacer, d'abord son offre fut accueillie avec reconnaissance et attendrissement, comme étant un acte de bon fils et de bon frère. Mais mon père me dit : "Il faut à quel prix que cela coûte acheter un remplaçant, je ne me consolerais jamais si ton frère venait à être victime de son dévouement pour nous. Hâtons-nous de prendre quelque moyen pour sortir à prix d'argent de notre fâcheuse position !"

Mon frère, en partant de Paris avait été faire une visite à Monsieur Maine de Biran, notre député qui lui a remis une lettre de recommandation pour Monsieur de Gérard, son beau-frère, payeur général à Périgueux. Nous partîmes, mon frère et moi, et nous fûmes chez ce monsieur à sa campagne près de Périgueux. Ma lettre lue, il nous donna rendez-vous pour le lendemain à 10 heures dans la dernière ville, il s'y trouva en effet et fut parler à Monsieur le préfet accompagné de mon frère. On ne put rien obtenir, seulement que si j'avais un parent d’un âge convenable, d'une éducation assez soignée, on l’accepterait comme remplaçant. Il fallut chercher un parent. Monsieur le Médecin Geneste nous indiqua le Sieur Chadourne du Theulet près Beauregard qui s’offrait pour partir pour moi, mais moyennant 7000 francs. Nous trouvâmes la somme exorbitante, et nous ne pûmes tomber d'accord. Nous voulions lui donner 6000 francs mais obstinément il refusa.

La Garde d'Honneur était un régiment d'élite, beaucoup de jeunes gens voulaient en faire partie, mais il fallait payer de suite 1500 francs pour un cheval et un équipement, cette condition faisait que le l’engagement de ceux qui voulaient servir dans ce régiment était repoussé. Il me vint dans l'idée d'aller consulter la liste de ceux qui s’étaient présentés volontairement pour partir comme Gardes d’Honneur, mais, qui n'ayant pas le moyen de s'équiper, avaient été repoussés. Le secrétaire de la sous-préfecture, qui me communiqua cette liste, me fit remarquer le nommé Bousquet de Baumont qui ne demandait que son équipement pour s'engager dans ce corps. C'était un jeune homme âgé de dix neuf ans d'une assez jolie taille, bien fait et d'une physionomie agréable. Il était garçon épicier à Bergerac. On me l'indiqua, je fus lui parler, et il reçut ma proposition avec plaisir. Il s’offrit donc pour me remplacer sans aucune rétribution, seulement en ce que je payerai pour lui 1500 francs pour se monter et s'équiper.

Je lui proposais de me suivre à Périgueux, il accepta et de suite il me suivit à la Négrie, où il passa la soirée avec nous.

 

Le lendemain, mon frère, lui et moi nous nous acheminèrent vers la ville de Périgueux.

Sur les trois heures, nous nous trouvions au lieu qu'on appelle "au Chalambre" (alors la grande route n'était que commencée dans certains endroits on allait à Périgueux à pied ou à cheval, pas de voiture) là le hasard nous fit rencontrer le sieur Chadourne venant de Périgueux et avec lequel nous n'avions pu tomber d'accord pour mon remplacement. Après nous être salués, nous lui dîmes que nous conduisions ce jeune homme à la préfecture pour le faire agréer comme notre remplaçant et qu'il n’exigeait que son équipement. Nous nous séparâmes et nous continuâmes notre route vers Périgueux où nous arrivâmes le soir. Nous fûmes logés à l'hôtel du Petit Escalier, nous y soupâmes et nous fûmes nous reposer ensuite au lit des fatigues de notre voyage, car je crois que nous n'avions que deux chevaux pour trois et que nous montions alternativement.

Le lendemain matin vers les six heures, chacun de nous dormait tranquillement dans son lit, lorsque nous fûmes réveillés par l'arrivée du sieur Chadourne, dont la présence nous étonna beaucoup. Après lui avoir fait part de notre surprise, ils nous répondit qu'il était venu pour nous faire une proposition : Que si nous voulions lui donner les 6000 francs que nous lui avions offerts, il était décidé à me remplacer dans mon service militaire, mais qu’alors il fallait renoncer à présenter le sieur Bousquet, que si nous persistions dans notre projet et que si ce dernier ne fût pas admis, alors il reprendrait sa prétention de 7000 francs. Cette proposition nous jeta dans une grande perplexité, nous ne savions que faire. Il me vint alors l’idée d’aller voir monsieur Eyguière avoué à Périgueux, notre ami de jeunesse et de lui demander son avis. Je pars, j’arrive chez lui, je lui raconte tout ce qui s'est passé depuis quelques jours, et il prit part à nos peines. Ce qui l’indignait surtout, c'était la conduite de Chadourne à notre égard. En qualité d'avoué qui a toute espèce de ruses dans son sac : il faut, me dit-il jouer un tour à cet individu. Il fut en conséquence convenu qu'il viendrait nous voir, qu'il proposerait à mon frère d'aller avec lui à la préfecture pour savoir au juste à quelle heure il faudrait se présenter devant le préfet, en accédant à la proposition de Chadourne et renonçant, par conséquent à présenter Bousquet. Je me retirais, Eyguière vint demi-heure après et mon frère et lui furent demander l'heure où le préfet voudrait nous recevoir. Dix heures furent fixées et à leur retour il nous dirent que le préfet nous attendait à midi. Nous déjeunâmes, le déjeuner fait, il fallut aller se promener, Chadourne et moi ensemble, mon frère et Eyguière et Bousquet d'un autre côté. Ces derniers s’éloignèrent de nous insensiblement et profitèrent de ce moment pour aller à 10 heures à la préfecture où Bousquet fût trouvé trop jeune et trop soldat de droit puisqu'il appartenait à la conscription prochaine. Ce coup nous accabla. Il fallut cependant et nous résigner et faire contre mauvaise fortune bon coeur. Midi arrivant, nous fûmes à la préfecture avec Chadourne qui fut présenté au préfet comme notre parent pour nous remplacer, il fut agréé est inscrit sur le contrôle des Gardes d’Honneur.

 

Nous reprimes tristement le chemin de la Négrie, Bousquet se retira chez lui, et Chadourne vint réaliser nos conventions. Mon père lui verse 500 francs, nous versâmes 1500 francs chez le Receveur Particulier pour les équipements de Chadourne, et mon père lui fit quatre lettres de change de 1000 francs chacune.

Chadourne partit sur une belle jument, bien habillé fut joindre l'armée qui avait été refoulée en France, il assista à la bataille de Chaupaubert, il fut prisonnier, et conduit en cette qualité vers la frontière ; à la tombée de la nuit, arrivant près de Chalons, je crois, il feignit d’avoir besoin de s'arrêter, les soldats qui le conduisaient le perdirent de l’oeil, il profita de ce moment pour échapper et revint chez lui au moment de la chute de l'Empire. Nous ne lui dires plus rien, il resta au sein de sa famille, et nous lui acquittâmes ses lettres de change. Il s'est retiré au Pont Saint Mamet, où par économie, dit-on, sordide, il s'est fait un bien-être dont il jouit paisiblement avec ses 54 ans.

Quant à nous, rendus à la tranquillité, qu’était venu troubler cet appel de garde d'honneur, je repris mes occupations notariales, et mon frère retourna à Paris reprendre le poste qu'il occupait à la Secraiterie d'Etat avec monsieur Vergnaud qui en était le chef de division, notre compatriote et des bontés duquel mon frère était l'objet.

La majeure partie de nos troupes battues presque partout, l'Empereur faisait appel sur appel, revenant sur les conscrits réformés, même sur les fils de veuve, qui avaient été de tout temps exemptés. Presque toutes les familles étaient tourmentées, ou par l'argent, ou par le départ de quelques-uns de leurs membres. Comme nous avions payé deux fois notre tribu, nous nous croyons désormais à l'abri de toute atteinte, mais nos plus grands soucis n'était pas encore arrivés. Nous vivions dans la plus grande confiance dans l'avenir, lorsque mon frère nous écrivit, sous le sceau du plus grand secret qu'un projet de décret qui appelait 300000 hommes sous les armes, pris sur les années de l’an XI,XII,XIII,XIV, 1806, venait de passer entre ses mains et qu'il allait être promulgué incessamment, que non pour moi seulement, mais que lui aussi se trouvait être frappé par cette nouvelle levée. Ce nouveau coup nous accabla ! Que faire? Mon frère nous disait : Quant à moi, connaissant ici particulièrement un quartier-maître de la division de Paris, je vais m'engager dans les bureaux, et je ferai là mon service ; pour toi, sors-t’en comme tu pourras, nous n'avons pas assez de fortune pour acheter un nouveau remplaçant. Le décret parut. Une consternation générale frappa toute la France. Réquisition de toute espèce, hommes, chevaux, mulets, foin, paille, boeufs, charrette, etc., etc., etc.. Tout le monde était aux abois. Que faire dans cette extrémité ? Une nuit pensant à notre position, je ne trouvais d'autre expédiant pour ne pas partir, et pour ne pas donner d'argent, que de faire un mariage simulé avec une vieille dont l'âge avancé permettrait d'espérer être bientôt débarrassé d’elle, ou bien, si je trouvais à me marier de faire prononcer un divorce. (le divorce était alors permis).

Je fis part de mon projet à mon père qui en rit, mais qui parut l’approuver. Je le communiquais à quelques amis, qui ne repoussèrent pas cette idée. J'en instruisit aussi Monsieur, Lagironie alors maire de la commune, en le priant de ne pas coucher sur son registre aucun acte, pour qu'il me fut possible d’antidater ce mariage, si enfin, je me décidais à le faire. Le nuage qui obscurcissait l'horizon s'avançait, il fallut penser sérieusement à se soustraire à cet appel, en conséquence je fus parler à monsieur Labouneilhe curé de Saint Julien vieil ami de la maison pour lui demander la main de sa mère qui avait alors soixante-dix ans, il sourit et donna son consentement ; sa mère à qui je fis part de mon plan, me dit fort obligeamment qu’elle ferait tout ce que je désirerais pour m'aider à me soustraire à cette nouvelle levée.

Quelques jours après j’y retournais pour demander les noms et prénoms de Madame Labouneilhe, mais depuis son fils qui était d'un caractère assez pusillanime avait réfléchi que si les autorités apprenaient qu'il eut prêté son concours à ce simulacre de mariage il pourrait être recherché, poursuivi et puni conseilla à sa mère de ne pas se prêter à cette démarche, mes pas furent dont perdus, il fallut les porter ailleurs, je cherchais dans ma tête à découvrir quelque autre vieille moins craintive et plus disposée à braver toutes les suites d'un pareil mariage, je pensais à plusieurs et en définitive, j’arrêtais mon choix sur Marie Boutot, veuve de Pierre Delteilh, mère de Mr Delteilh de Flouyrac, notre chirurgien et notre ami.

Je communiquais mes projets à ce dernier, et de la manière la plus obligeante, il m'accorda la main de sa mère, sans cependant initier celle-ci dans toute l’étendue de cet acte qui tout burlesque qu’il paraissait être n'en était pas moins très sérieux, la suite et que nous allons voir le prouvera. Il dit à sa mère :

 

" Bayssellance est tracassé encore pour sa conscription, on veut le faire partir pour l’armée, et pour l'empêcher nous allons dire qu'il est marie avec vous. "

" Mon Dieu dit-elle, pauvre garçon, je ferai et je dirai tout ce qui sera nécessaire pour l'empêcher de partir ".

 

Ce consentement donné nous préparâmes tous les matériaux. A cette époque les combats étaient si meurtriers, qu'on considérait un jeune homme qui allait servir comme perdu, aussi n'y avait-il pas de moyens qu'on employa pour ne pas aller à l’armée.

Je fut à Bergerac consultait monsieur Prévot notre avocat sur ce que j’allais faire, il l'approuvait tout en disant qu'il aurait donné la préférence à tout autre moyen. La résolution prise il fallut l'exécuter. Je réunis donc chez nous le 17 novembre 1813 Mr Lagironie, maire de la commune, Mr Delteilh, Javersac, Eyguière notaire et Labattut, maire de Saint-Julien et après le dîner nous signâmes l’acte civil de mon mariage avec Marie Boutot . (celle-ci absente.)

Je vivais ainsi à l'ombre de ce simulacre de mariage, j'étais dans un repos parfait, tandis que de tous les côtés on était désolé. Les jeunes gens mariés étaient seuls exemptés ; tous ceux qui avaient passé devant les conseils de révision y repassaient encore, et ne trouvaient que des juges inexorables, néanmoins dans un tel trouble, il y a avait, qui, avec des amis bien dévoués ou de l'argent parvenaient à échapper. Les fils aînés de veuve n'était pas plus exemptés que les autres.

Mon frère à qui j'avais annoncé ma résolution de prendre une vieille femme et qui plus près que nous du foyer de tempêtes eut le bonheur d'être protégé par monsieur Vergnaud, son chef de division. Celui-ci présenta une pétition à l'Empereur et lui réclama trois jeunes gens qu’il avait dans ses bureaux comme lui étant indispensables, mon frère était du nombre et tous trois furent exemptés du service militaire.

J'attendais que la tempête eut cessé pour aviser au moyen à prendre pour briser ses liens qui m’unissaient à Marie Boutot. Nous étions dans cette terrible tourmente qui annonçait quelques catastrophes. Toutes les puissances coalisées contre la France, nous étions débordés de tous les côtés par l’ennemi, nos frontières furent envahies par lui, et bientôt les rois ligués contre la France, forcèrent l'empereur à déposer sa couronne et les Bourbons suivant les bagages de l'armée furent placés sur ce trône qui avait paru inébranlable pendant le règne de Napoléon.

Après leur avènement, les Bourbons tentèrent de remettre les choses dans le même état qui existait avant 1789, néanmoins Louis XVIII dont les idées étaient plus libérales que les autres têtes de sa famille, accorda une charte et nous pûmes jouir encore un peu de cette liberté qu'on avait proclamée si haut au commencement de la révolution, mais chaque jour, quelque garantie nous était enlevée, on ne pouvait pas empêcher la vieille noblesse et le clergé, cet ennemi juré de toute liberté de laisser poindre cette tendance qui voulait de nouveau asservir le peuple et gouverner despotiquement.

La chambre des pairs de Louis XVIII était composée en majeure partie de la vieille noblesse qui prenait ses inspirations dans le clergé dont plusieurs de ses membres faisaient partie de ce grand corps de l'état. Alors de vieilles idées se firent jour, il fallait retoucher à toutes nos nouvelles lois, si on ne les anéantissait pas entièrement. Pour les uns, le Code Civil, ce monument d'une des plus grandes gloires de Napoléon devait être rayé et ne plus être loi. Dans cet état, monsieur le Marquis de Barthelemy, pair de France, proposa l'abolition du divorce. A cette annonce, je demeurais stupéfait. Je frémis de me voir ainsi lier pendant l’existence de Marie Boutot et de ne pouvoir me marier si un parti convenable se présentait. Me voilà encore plus tourmenté que je ne l'était lors de mon appel, comment me dégager des liens dans lesquels je m’étais embarrassé ? Que faire ?

Je fus voir monsieur Prévot l'avocat, je lui communiquais mon embarras, je lui demandais le moyen de pouvoir en sortir. Il n’y vit que le divorce, seule ressource qui me fut permis d'employer. Deux manières de divorcer était permises : le divorce par consentement mutuel ou le divorce pour cause déterminée comme : adultère, excès, sévices ou injures graves. Le divorce par consentement mutuel était la manière la plus simple d'arriver à briser ce lien, mais il fallait trois ans d’épreuves, c'est-à-dire rester trois ans séparés, nous présenter tous les ans devant le Président du tribunal civil pour l'entendre et essayer de nous rapatrier. Nous aurions pris cette voie, mais il était urgent de faire prononcer le divorce pendant la durée de la loi qui fut abrogée le 8 mai 1816. Ainsi il fallut avoir recours aux causes déterminées. Je ne pouvais l'attaquer comme adultère, il fallait donc des injures graves ou des excès, monsieur Prévot me disait : il faudrait, un jour, le dimanche à la sortie de la messe lui donner des coups de canne. Mais comment allez frapper une vieille et respectable femme ?

Alors monsieur Prévot trouva qu'il fallait que je lui adresse un acte pour la forcer à venir habiter avec moi, et par un acte qu'elle s'y refusât et me dit des injures graves et me fasse des menaces. Ce moyen fut adopté, en conséquence, le 3 juin 1814 je lui fis donner acte pour la contraindre à venir habiter avec moi (acte qui ne fut point signifié) cet acte retenu par Eyguière. Le 6 du même mois, elle me répond des injures graves ; alors par ministère de Boyer avoué, je présentais une requête au tribunal pour demander le divorce. La procédure exigée en pareille circonstance fut suivie de point en point et le 21 juillet 1814 le divorce fut admis par le jugement du Tribunal et prononcé le 5 août 1814, devant le maire de Queyssac et est inscrite sur les registres.

 

C'est ainsi que se termina cette comédie qui ne laissa pas de me donner bien du souci, il m’en coûta environ 100 francs de frais, car notaire, avoués, huissiers et greffiers ne réclamaient que leurs déboursés, et je déclare que si pareille circonstance se présenter, je ne prends pas cette marche, car il fallut faire des actes que répugnent à tout homme honnête de faire, bien que ce soit à une plaisanterie, car tous ces actes furent faits et dressés sur le manteau de la cheminée.

J'ai été bien aise de donner ces éclaircissements qui précèdent pour que mes parents ne vissent là dans cette procédure que des jeux qu'il fallait mettre en avant pour me garantir à 29 ans de partir comme soldat, car si à trente ans les circonstances m’eussent forcé, je n'aurai pas reculer devant cette carrière où j'ai le bonheur de voir en ce moment un de mes fils capitaine, et où le plus jeune pourrait également entrer.

 

                                                               Fait à la Négrie le 28 juin 1847

                                                               Signé Bayssellance

 

Commentaires de Jean Oscar Bayssellance (1932)Il ne fut pas seul dans son cas, et son cousin germain et futur beau-frère Lacroix Bayssellance notaire aussi employa le même système pour se soustraire à la grande réquisition de 300000 hommes de 1813. Il n'employa pas les mêmes moyens de divorce, mais le résultat fut le même : annulation du mariage contracté pour la même cause.

J'ai la minute copie du jugement du cousin et je vais vous la transcrire puisque je n'ai pas celui du grand-père. Vous verrez que c’était des finesses cousues de fil blanc et que cela ne prendrait pas maintenant.

Il faut dire à la décharge de ces braves gens, qui n'était peut-être par des gens braves, que les circonstances n'étaient pas comparables à celles de notre époque présente.

Le mérite de la troisième république a été d’instituer le service militaire personnel et obligatoire, aussi en 1914 tout le monde partit sans rechigner en abandonnant sa situation, tout le monde avait été soldat et se savait réserviste.

Sous le premier empire, c'était bien différent. On tirait au sort, si on avait un mauvais numéro on partait.(en 1813 tous les numéros étaient mauvais) mais il n'en avait pas été de même dans les années précédentes, ceux qui avaient de mauvais numéros étaient autorisés par la loi à se faire remplacer et quand on avait fourni son remplaçant on était libéré de tout. Le gouvernement n'avait plus le droit de vous rappeler, on avait payé sa dette.

L'appel de 1813 était donc absolument illégal et pouvait malgré les senatus-consulte être considéré comme un déni de justice, et que puisqu'on faisait des lois nouvelles on pouvait profiter des anciennes. On pouvait se dire aussi que c’était l'Empereur qui était attaqué et qu'il avait outrepassé les droits que lui donnait la constitution. Il faut de plus se mettre à la place de ces jeunes gens qui se croyaient libérées de toute obligation militaire et qui devaient partir en violation de la loi à l’âge de 39 ans, sans avoir jamais été soldat. Le grand-père et son cousin le considèrent ainsi et ils avaient raison, on leur imposait une nouvelle loi, ils y opposaient une autre loi.

Notre mentalité habituée au service personnel et obligatoire de 20 à 40 ans ne le comprend plus de même. On ne peut soustraire à un appel, il en était autrement sous le premier Empire.

 


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