JOURNAL DE JEAN BAYSSELLANCE NOTAIRE
L’apparence d’un procès tendant à faire prononcer
un divorce entre Marie Boutot veuve de sieur Pierre Deleilh et moi,
existant, tant dans l'étude de maître Eyguiére, notaire à Saint-Jean d’Eyraud
(avant notaire à Beauregard) qu’au greffe du tribunal civil de
Bergerac, je dois, tant que j’existe, donner des explications à ce
sujet pour mes enfants ou leurs descendants ne puissent rien voir de
flétrissant pour moi dans un procès, qui, réellement n'en était pas
un, mais que les malheureuses circonstances de l'époque, où je fut
forcé d'aller devant le Tribunal de Bergerac, lui donnèrent toutes les
formes et la physionomie d'une procédure sérieuse, lorsque cela n’était
qu'un moyen de briser des liens qui n'avaient jamais existé, mais qu'il
avait fallu mettre en avant pour me soustraire à l'appel qui fut fait de
300000 hommes en 1813. Je vais donc remonter à mon premier appel comme
conscrit de l'an 14 ou 1805 pour mettre au courant des diverses phases de
ma vie depuis ma conscription jusqu'à mon mariage.
Conscrit de 1805, comme je viens de le dire, je fut
réformé par faveur, c'est-à-dire que le conseil de révision composé
de plusieurs membres que nous connaissions, cru devoir me dispenser du
service militaire pour me laisser à la carrière notariale pour laquelle
j’étais destiné. Et bien ! Si je fut réformé, je devais l’être à
cause d’une infirmité dont j'ai était atteint, mais non apparente
puisque qu'aucun médecin ne put ou ne sut la reconnaître. J'avais alors,
et j’ai encore l’œil droit privé de lumière, pour ainsi dire,
c'est-à-dire que si je perdais le gauche, à peine verrais-je à me
conduire. Ainsi, si ces messieurs, ont cru faire partir un autre conscrit
à ma place, moi, j’ai la conscience tranquille et réformé, je devais
l'être ; Arrivé à 62 ans je puis dire la vérité et je le dois.
Exempté et me destinant au notariat, mon père
m'envoya à Paris étudiait cette science, où je passais six ans et demi
dans l'étude de maître Boulard. Mon frère fut conscrit à son tour et
réformé également (par faveur cette fois) je l'appelais auprès de moi,
lui ayant trouvé une place où il gagna d'abord 600 francs et après une
autre qui lui rapportait environ 1800 francs et la faculté de faire son
droit.
En 1812, mon père fut dangereusement malade, il me
rappela auprès de lui pour lui aider et conserver après lui son étude
de notaire, mais la loi du 25 Ventose fixant le nombre des notaires de
chaque canton à 3 pour le minimum est à 5 pour le maximum, je n'ai pu
succéder de suite à mon père, y en ayant 7 dans le canton de Bergerac.
Il fallut alors prendre un biais. Il m’acheta l'étude de Boutiron
notaire de la Force pour la somme de 2400 francs je ne veux pas anticiper.
Peu de temps après mon arrivée de Paris, j'employais
mon temps à en donner le moins possible à l'état et la majeure partie
à mes plaisirs. J'aimais la danse et la bonne société, et je
recherchais avec empressement l’une et l’autre, et dans le petit bourg
de Mouleydier je les trouvais toutes les deux.
Ma soeur était liée avec les demoiselles Gagnaire
filles de notaire, ses compagnes de pension. Elle vinrent lui faire visite
avec les demoiselles Durive de Mouleydier, leurs cousines, qui nous
invitaient aux soirées dansantes de leur petit bourg, soirées données
tantôt chez elle tantôt chez monsieur Javersac dont l’épouse était
femme d'esprit et d'une amabilité remarquable. Ces deux demoiselles
étaient dignes de leur mère.
J’ai vu quelquefois à ces soirées Madame de
Montbrun, femme charmante, qui a depuis perdu la vue, mais alors elle
avait de fort beaux yeux. On comptait dans ses réunions une douzaine de
dames et de demoiselles, presque autant de messieurs.
Bergerac, à la même époque, pouvait à peine former
sa redoute (assemblée dansante) et il n'était question que des bals de
Mouleydier dans toute la contrée.
Alors l'empire penchait vers sa chute. L'empereur
revenait de Moscou à travers les neiges et les frimas ; il lui faut une
nouvelle armée, il pense à faire une nouvelle levée d'hommes, mais pour
la rendre plus facile, il veut montrer aux gens qu'il va appeler les
combattant à travers le prisme de la gloire et de la séduction. Il veut
avoir une garde d'honneur, des hommes non appelés par le sort mais
désignés, des gens enfin de familles riches et honorées, qui, peu
occupés, puissent partir sans être à la charge de l'état, puisqu'il
fallait qu'il s’équipassent à leurs frais.
Nos soirées avaient fait, comme je l'ai déjà dit du
bruit dans la contrée ; le sous-préfet chargé par le préfet d'indiquer
des jeunes gens qui lui paraissaient le plus propre à faire partie de
cette garde d’honneur, soit par leur famille, leur fortune et leur
éducation, jeta les yeux sur le bal de Mouleydier où il remarqua
plusieurs jeunes gens inoccupés. Je fut du nombre de ceux qui furent
honorés du choix de Monsieur le Préfet, nous étions, je crois, six.
Chacun de nous reçut sa lettre de Monsieur le Préfet, et il nous fallut
nous rendre auprès de Monsieur le Préfet qui n’écoutait aucune
réclamation, qui nous disait au contraire qu'il fallait tout oublier pour
servir la patrie et notre Empereur ; que les Périgourdins s’étaient
toujours fait remarquer par leur dévouement à leur prince et à la
patrie.
Nos chants, nos fêtes cessèrent alors, chacun de nous
ne s’occupa plus que de songer à son sort, les uns faisant leurs
préparatifs de départ, et les autres à prendre les moyens de me pas
partir. J'étais de ces derniers. J’étais trop âgé pour commencer la
carrière militaire, j'avais 29 ans, et en outre ayant passé toute ma vie
à travailler dans le notariat, et voulant remplacer mon père déjà
âgé, je ne pouvais pas ainsi interrompre mon stage. Tout cela me
bouleversa horriblement.
Il fallut alors écrire à mon frère qui était alors
employé à la Secraiterie d'Etat, et lui faire-part de notre fâcheuse
position. Cette nouvelle l’affecta comme elle devait le faire. Notre
correspondance devint très active, il nous donnait des conseils, nous
faisions des démarches et en définitive nous vîmes qu’il fallait que
je subisse mon sort.
Si je partais et que mon père vint à mourir, nous
perdions notre étude, ce qu'il nous importait le plus de conserver comme
étant la plus claire portion de notre avoir. Alors mon frère abandonna
Paris vint auprès de nous et s’offrit de me remplacer, d'abord son
offre fut accueillie avec reconnaissance et attendrissement, comme étant
un acte de bon fils et de bon frère. Mais mon père me dit : "Il
faut à quel prix que cela coûte acheter un remplaçant, je ne me
consolerais jamais si ton frère venait à être victime de son
dévouement pour nous. Hâtons-nous de prendre quelque moyen pour sortir
à prix d'argent de notre fâcheuse position !"
Mon frère, en partant de Paris avait été faire une
visite à Monsieur Maine de Biran, notre député qui lui a remis une
lettre de recommandation pour Monsieur de Gérard, son beau-frère, payeur
général à Périgueux. Nous partîmes, mon frère et moi, et nous fûmes
chez ce monsieur à sa campagne près de Périgueux. Ma lettre lue, il
nous donna rendez-vous pour le lendemain à 10 heures dans la dernière
ville, il s'y trouva en effet et fut parler à Monsieur le préfet
accompagné de mon frère. On ne put rien obtenir, seulement que si
j'avais un parent d’un âge convenable, d'une éducation assez soignée,
on l’accepterait comme remplaçant. Il fallut chercher un parent.
Monsieur le Médecin Geneste nous indiqua le Sieur Chadourne du Theulet
près Beauregard qui s’offrait pour partir pour moi, mais moyennant 7000
francs. Nous trouvâmes la somme exorbitante, et nous ne pûmes tomber
d'accord. Nous voulions lui donner 6000 francs mais obstinément il
refusa.
La Garde d'Honneur était un régiment d'élite,
beaucoup de jeunes gens voulaient en faire partie, mais il fallait payer
de suite 1500 francs pour un cheval et un équipement, cette condition
faisait que le l’engagement de ceux qui voulaient servir dans ce
régiment était repoussé. Il me vint dans l'idée d'aller consulter la
liste de ceux qui s’étaient présentés volontairement pour partir
comme Gardes d’Honneur, mais, qui n'ayant pas le moyen de s'équiper,
avaient été repoussés. Le secrétaire de la sous-préfecture, qui me
communiqua cette liste, me fit remarquer le nommé Bousquet de Baumont qui
ne demandait que son équipement pour s'engager dans ce corps. C'était un
jeune homme âgé de dix neuf ans d'une assez jolie taille, bien fait et
d'une physionomie agréable. Il était garçon épicier à Bergerac. On me
l'indiqua, je fus lui parler, et il reçut ma proposition avec plaisir. Il
s’offrit donc pour me remplacer sans aucune rétribution, seulement en
ce que je payerai pour lui 1500 francs pour se monter et s'équiper.
Je lui proposais de me suivre à Périgueux, il accepta
et de suite il me suivit à la Négrie, où il passa la soirée avec nous.
Le lendemain, mon frère, lui et moi nous nous
acheminèrent vers la ville de Périgueux.
Sur les trois heures, nous nous trouvions au lieu qu'on
appelle "au Chalambre" (alors la grande route n'était que
commencée dans certains endroits on allait à Périgueux à pied ou à
cheval, pas de voiture) là le hasard nous fit rencontrer le sieur
Chadourne venant de Périgueux et avec lequel nous n'avions pu tomber
d'accord pour mon remplacement. Après nous être salués, nous lui dîmes
que nous conduisions ce jeune homme à la préfecture pour le faire
agréer comme notre remplaçant et qu'il n’exigeait que son équipement.
Nous nous séparâmes et nous continuâmes notre route vers Périgueux où
nous arrivâmes le soir. Nous fûmes logés à l'hôtel du Petit Escalier,
nous y soupâmes et nous fûmes nous reposer ensuite au lit des fatigues
de notre voyage, car je crois que nous n'avions que deux chevaux pour
trois et que nous montions alternativement.
Le lendemain matin vers les six heures, chacun de nous
dormait tranquillement dans son lit, lorsque nous fûmes réveillés par
l'arrivée du sieur Chadourne, dont la présence nous étonna beaucoup.
Après lui avoir fait part de notre surprise, ils nous répondit qu'il
était venu pour nous faire une proposition : Que si nous voulions lui
donner les 6000 francs que nous lui avions offerts, il était décidé à
me remplacer dans mon service militaire, mais qu’alors il fallait
renoncer à présenter le sieur Bousquet, que si nous persistions dans
notre projet et que si ce dernier ne fût pas admis, alors il reprendrait
sa prétention de 7000 francs. Cette proposition nous jeta dans une grande
perplexité, nous ne savions que faire. Il me vint alors l’idée d’aller
voir monsieur Eyguière avoué à Périgueux, notre ami de jeunesse et de
lui demander son avis. Je pars, j’arrive chez lui, je lui raconte tout
ce qui s'est passé depuis quelques jours, et il prit part à nos peines.
Ce qui l’indignait surtout, c'était la conduite de Chadourne à notre
égard. En qualité d'avoué qui a toute espèce de ruses dans son sac :
il faut, me dit-il jouer un tour à cet individu. Il fut en conséquence
convenu qu'il viendrait nous voir, qu'il proposerait à mon frère d'aller
avec lui à la préfecture pour savoir au juste à quelle heure il
faudrait se présenter devant le préfet, en accédant à la proposition
de Chadourne et renonçant, par conséquent à présenter Bousquet. Je me
retirais, Eyguière vint demi-heure après et mon frère et lui furent
demander l'heure où le préfet voudrait nous recevoir. Dix heures furent
fixées et à leur retour il nous dirent que le préfet nous attendait à
midi. Nous déjeunâmes, le déjeuner fait, il fallut aller se promener,
Chadourne et moi ensemble, mon frère et Eyguière et Bousquet d'un autre
côté. Ces derniers s’éloignèrent de nous insensiblement et
profitèrent de ce moment pour aller à 10 heures à la préfecture où
Bousquet fût trouvé trop jeune et trop soldat de droit puisqu'il
appartenait à la conscription prochaine. Ce coup nous accabla. Il fallut
cependant et nous résigner et faire contre mauvaise fortune bon coeur.
Midi arrivant, nous fûmes à la préfecture avec Chadourne qui fut
présenté au préfet comme notre parent pour nous remplacer, il fut
agréé est inscrit sur le contrôle des Gardes d’Honneur.
Nous reprimes tristement le chemin de la Négrie,
Bousquet se retira chez lui, et Chadourne vint réaliser nos conventions.
Mon père lui verse 500 francs, nous versâmes 1500 francs chez le
Receveur Particulier pour les équipements de Chadourne, et mon père lui
fit quatre lettres de change de 1000 francs chacune.
Chadourne partit sur une belle jument, bien habillé
fut joindre l'armée qui avait été refoulée en France, il assista à la
bataille de Chaupaubert, il fut prisonnier, et conduit en cette qualité
vers la frontière ; à la tombée de la nuit, arrivant près de Chalons,
je crois, il feignit d’avoir besoin de s'arrêter, les soldats qui le
conduisaient le perdirent de l’oeil, il profita de ce moment pour
échapper et revint chez lui au moment de la chute de l'Empire. Nous ne
lui dires plus rien, il resta au sein de sa famille, et nous lui
acquittâmes ses lettres de change. Il s'est retiré au Pont Saint Mamet,
où par économie, dit-on, sordide, il s'est fait un bien-être dont il
jouit paisiblement avec ses 54 ans.
Quant à nous, rendus à la tranquillité, qu’était
venu troubler cet appel de garde d'honneur, je repris mes occupations
notariales, et mon frère retourna à Paris reprendre le poste qu'il
occupait à la Secraiterie d'Etat avec monsieur Vergnaud qui en était le
chef de division, notre compatriote et des bontés duquel mon frère
était l'objet.
La majeure partie de nos troupes battues presque
partout, l'Empereur faisait appel sur appel, revenant sur les conscrits
réformés, même sur les fils de veuve, qui avaient été de tout temps
exemptés. Presque toutes les familles étaient tourmentées, ou par
l'argent, ou par le départ de quelques-uns de leurs membres. Comme nous
avions payé deux fois notre tribu, nous nous croyons désormais à l'abri
de toute atteinte, mais nos plus grands soucis n'était pas encore
arrivés. Nous vivions dans la plus grande confiance dans l'avenir,
lorsque mon frère nous écrivit, sous le sceau du plus grand secret qu'un
projet de décret qui appelait 300000 hommes sous les armes, pris sur les
années de l’an XI,XII,XIII,XIV, 1806, venait de passer entre ses mains
et qu'il allait être promulgué incessamment, que non pour moi seulement,
mais que lui aussi se trouvait être frappé par cette nouvelle levée. Ce
nouveau coup nous accabla ! Que faire? Mon frère nous disait : Quant
à moi, connaissant ici particulièrement un quartier-maître de la
division de Paris, je vais m'engager dans les bureaux, et je ferai là mon
service ; pour toi, sors-t’en comme tu pourras, nous n'avons pas assez
de fortune pour acheter un nouveau remplaçant. Le décret parut. Une
consternation générale frappa toute la France. Réquisition de toute
espèce, hommes, chevaux, mulets, foin, paille, boeufs, charrette, etc.,
etc., etc.. Tout le monde était aux abois. Que faire dans cette
extrémité ? Une nuit pensant à notre position, je ne trouvais d'autre
expédiant pour ne pas partir, et pour ne pas donner d'argent, que de
faire un mariage simulé avec une vieille dont l'âge avancé permettrait
d'espérer être bientôt débarrassé d’elle, ou bien, si je trouvais
à me marier de faire prononcer un divorce. (le divorce était alors
permis).
Je fis part de mon projet à mon père qui en rit, mais
qui parut l’approuver. Je le communiquais à quelques amis, qui ne
repoussèrent pas cette idée. J'en instruisit aussi Monsieur, Lagironie
alors maire de la commune, en le priant de ne pas coucher sur son registre
aucun acte, pour qu'il me fut possible d’antidater ce mariage, si enfin,
je me décidais à le faire. Le nuage qui obscurcissait l'horizon
s'avançait, il fallut penser sérieusement à se soustraire à cet appel,
en conséquence je fus parler à monsieur Labouneilhe curé de Saint
Julien vieil ami de la maison pour lui demander la main de sa mère qui
avait alors soixante-dix ans, il sourit et donna son consentement ; sa
mère à qui je fis part de mon plan, me dit fort obligeamment qu’elle
ferait tout ce que je désirerais pour m'aider à me soustraire à cette
nouvelle levée.
Quelques jours après j’y retournais pour demander
les noms et prénoms de Madame Labouneilhe, mais depuis son fils qui
était d'un caractère assez pusillanime avait réfléchi que si les
autorités apprenaient qu'il eut prêté son concours à ce simulacre de
mariage il pourrait être recherché, poursuivi et puni conseilla à sa
mère de ne pas se prêter à cette démarche, mes pas furent dont perdus,
il fallut les porter ailleurs, je cherchais dans ma tête à découvrir
quelque autre vieille moins craintive et plus disposée à braver toutes
les suites d'un pareil mariage, je pensais à plusieurs et en définitive,
j’arrêtais mon choix sur Marie Boutot, veuve de Pierre Delteilh, mère
de Mr Delteilh de Flouyrac, notre chirurgien et notre ami.
Je communiquais mes projets à ce dernier, et de la
manière la plus obligeante, il m'accorda la main de sa mère, sans
cependant initier celle-ci dans toute l’étendue de cet acte qui tout
burlesque qu’il paraissait être n'en était pas moins très sérieux,
la suite et que nous allons voir le prouvera. Il dit à sa mère :
" Bayssellance est tracassé encore
pour sa conscription, on veut le faire partir pour l’armée, et pour
l'empêcher nous allons dire qu'il est marie avec vous. "
" Mon Dieu dit-elle, pauvre garçon, je
ferai et je dirai tout ce qui sera nécessaire pour l'empêcher de
partir ".
Ce consentement donné nous préparâmes tous les
matériaux. A cette époque les combats étaient si meurtriers, qu'on
considérait un jeune homme qui allait servir comme perdu, aussi n'y
avait-il pas de moyens qu'on employa pour ne pas aller à l’armée.
Je fut à Bergerac consultait monsieur Prévot notre
avocat sur ce que j’allais faire, il l'approuvait tout en disant qu'il
aurait donné la préférence à tout autre moyen. La résolution prise il
fallut l'exécuter. Je réunis donc chez nous le 17 novembre 1813 Mr
Lagironie, maire de la commune, Mr Delteilh, Javersac, Eyguière notaire
et Labattut, maire de Saint-Julien et après le dîner nous signâmes l’acte
civil de mon mariage avec Marie Boutot . (celle-ci absente.)
Je vivais ainsi à l'ombre de ce simulacre de mariage,
j'étais dans un repos parfait, tandis que de tous les côtés on était
désolé. Les jeunes gens mariés étaient seuls exemptés ; tous ceux qui
avaient passé devant les conseils de révision y repassaient encore, et
ne trouvaient que des juges inexorables, néanmoins dans un tel trouble,
il y a avait, qui, avec des amis bien dévoués ou de l'argent parvenaient
à échapper. Les fils aînés de veuve n'était pas plus exemptés que
les autres.
Mon frère à qui j'avais annoncé ma résolution de
prendre une vieille femme et qui plus près que nous du foyer de tempêtes
eut le bonheur d'être protégé par monsieur Vergnaud, son chef de
division. Celui-ci présenta une pétition à l'Empereur et lui réclama
trois jeunes gens qu’il avait dans ses bureaux comme lui étant
indispensables, mon frère était du nombre et tous trois furent exemptés
du service militaire.
J'attendais que la tempête eut cessé pour aviser au
moyen à prendre pour briser ses liens qui m’unissaient à Marie Boutot.
Nous étions dans cette terrible tourmente qui annonçait quelques
catastrophes. Toutes les puissances coalisées contre la France, nous
étions débordés de tous les côtés par l’ennemi, nos frontières
furent envahies par lui, et bientôt les rois ligués contre la France,
forcèrent l'empereur à déposer sa couronne et les Bourbons suivant les
bagages de l'armée furent placés sur ce trône qui avait paru
inébranlable pendant le règne de Napoléon.
Après leur avènement, les Bourbons tentèrent de
remettre les choses dans le même état qui existait avant 1789,
néanmoins Louis XVIII dont les idées étaient plus libérales que les
autres têtes de sa famille, accorda une charte et nous pûmes jouir
encore un peu de cette liberté qu'on avait proclamée si haut au
commencement de la révolution, mais chaque jour, quelque garantie nous
était enlevée, on ne pouvait pas empêcher la vieille noblesse et le
clergé, cet ennemi juré de toute liberté de laisser poindre cette
tendance qui voulait de nouveau asservir le peuple et gouverner
despotiquement.
La chambre des pairs de Louis XVIII était composée en
majeure partie de la vieille noblesse qui prenait ses inspirations dans le
clergé dont plusieurs de ses membres faisaient partie de ce grand corps
de l'état. Alors de vieilles idées se firent jour, il fallait retoucher
à toutes nos nouvelles lois, si on ne les anéantissait pas entièrement.
Pour les uns, le Code Civil, ce monument d'une des plus grandes gloires de
Napoléon devait être rayé et ne plus être loi. Dans cet état,
monsieur le Marquis de Barthelemy, pair de France, proposa l'abolition du
divorce. A cette annonce, je demeurais stupéfait. Je frémis de me voir
ainsi lier pendant l’existence de Marie Boutot et de ne pouvoir me
marier si un parti convenable se présentait. Me voilà encore plus
tourmenté que je ne l'était lors de mon appel, comment me dégager des
liens dans lesquels je m’étais embarrassé ? Que faire ?
Je fus voir monsieur Prévot l'avocat, je lui
communiquais mon embarras, je lui demandais le moyen de pouvoir en sortir.
Il n’y vit que le divorce, seule ressource qui me fut permis d'employer.
Deux manières de divorcer était permises : le divorce par consentement
mutuel ou le divorce pour cause déterminée comme : adultère, excès,
sévices ou injures graves. Le divorce par consentement mutuel était la
manière la plus simple d'arriver à briser ce lien, mais il fallait trois
ans d’épreuves, c'est-à-dire rester trois ans séparés, nous
présenter tous les ans devant le Président du tribunal civil pour
l'entendre et essayer de nous rapatrier. Nous aurions pris cette voie,
mais il était urgent de faire prononcer le divorce pendant la durée de
la loi qui fut abrogée le 8 mai 1816. Ainsi il fallut avoir recours aux
causes déterminées. Je ne pouvais l'attaquer comme adultère, il fallait
donc des injures graves ou des excès, monsieur Prévot me disait : il
faudrait, un jour, le dimanche à la sortie de la messe lui donner des
coups de canne. Mais comment allez frapper une vieille et respectable
femme ?
Alors monsieur Prévot trouva qu'il fallait que je lui
adresse un acte pour la forcer à venir habiter avec moi, et par un acte
qu'elle s'y refusât et me dit des injures graves et me fasse des menaces.
Ce moyen fut adopté, en conséquence, le 3 juin 1814 je lui fis donner
acte pour la contraindre à venir habiter avec moi (acte qui ne fut point
signifié) cet acte retenu par Eyguière. Le 6 du même mois, elle me
répond des injures graves ; alors par ministère de Boyer avoué, je
présentais une requête au tribunal pour demander le divorce. La
procédure exigée en pareille circonstance fut suivie de point en point
et le 21 juillet 1814 le divorce fut admis par le jugement du Tribunal et
prononcé le 5 août 1814, devant le maire de Queyssac et est inscrite sur
les registres.
C'est ainsi que se termina cette comédie qui ne laissa
pas de me donner bien du souci, il m’en coûta environ 100 francs de
frais, car notaire, avoués, huissiers et greffiers ne réclamaient que
leurs déboursés, et je déclare que si pareille circonstance se
présenter, je ne prends pas cette marche, car il fallut faire des actes
que répugnent à tout homme honnête de faire, bien que ce soit à une
plaisanterie, car tous ces actes furent faits et dressés sur le manteau
de la cheminée.
J'ai été bien aise de donner ces éclaircissements
qui précèdent pour que mes parents ne vissent là dans cette procédure
que des jeux qu'il fallait mettre en avant pour me garantir à 29 ans de
partir comme soldat, car si à trente ans les circonstances m’eussent
forcé, je n'aurai pas reculer devant cette carrière où j'ai le bonheur
de voir en ce moment un de mes fils capitaine, et où le plus jeune
pourrait également entrer.
Fait à la Négrie le 28 juin 1847
Signé Bayssellance
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